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Conflits ethniques en Birmanie: séjour chez les Karens

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La Birmanie, destination à la mode depuis son ouverture au monde offre une diversité de paysages et de cultures qui fait rêver. Cependant les récents événements concernant l’ethnie des Rohingyas font le tour de monde et mettent en lumière une tout autre réalité… Réalité qui a longtemps été délaissée par la communauté internationale comme celle de nombreuses minorités ethniques peuplant ce pays. Clément et Raphael ont choisi d’aller à la rencontre de la minorité des Karens, dans une des rares zones contrôlées par l’Armée de Libération Karen.


Une histoire conflictuelle

Parmi les 8 ethnies reconnus (plus de cent sous groupes ethniques), nous trouvons les Karens. Ce peuple indo-tibétain est arrivé sur le territoire de la Birmanie actuel il y a plus de 2700 ans (source inconnue et invérifiable venant des livres d’histoire Karen). Leur territoire, lieu stratégique du commerce de pierres précieuses, tek et ivoire, a très souvent été le théâtre d’affrontements d’autres peuples et nations: Thaïs, Birmans et autres minorités frontalières (Shans et Mons).

Lors de l’occupation britannique, les Karens semblaient jouir d’un statut particulier qui ne dura pas à la reprise du pouvoir par les Birmans. Les Karens s’allièrent avec les britanniques durant la seconde guerre mondiale et affrontèrent le régime birman pro-japonais. A la fin de la guerre, le gouvernement birman puis la junte militaire refusèrent l’indépendance désirée par la pseudo autonomie Karen. Ces derniers décidèrent de créer un front indépendantiste puis un groupe armé. Les désirs démocratiques des minorités furent alors violemment réprimés par la dictature militaire, et leurs droits précédemment obtenus furent retirés. Par conséquent, des centaines de milliers de personnes ont fui et une majorité a été regroupée dans des camps de réfugiés à la frontière thaïlandaise. Actuellement les Karens sont séparés au sein de la province Karyin, qui se caractérise par:

  • des zones pauvres sans aide de l’état
  • des villes stratégiques économiquement sous contrôle de l’autorité birmane (comme Myawaddyi ou Hpa-An)
  • des zones armées contrôlés par des groupes armés karen (KNDO, KNRP, KNLA, KNU). Ces zones, sous blocus birman réclament cessez-le-feu, autonomie ou indépendance (de manière plus ou moins pacifiste selon les groupes armés).

Une situation précaire et instable

C’est dans ce contexte que nous avons rejoint une base militaire après avoir traversé des camps de réfugiés (officiellement inexistants), côté thai, et avons eu la chance de s’immerger une petite semaine dans la culture Karen.
Chemin cabossé puis quelques minutes de pirogue pour traverser la rivière Moei, frontière naturelle entre Thaïlande et Birmanie, et nous voilà au camp militaire Karen. Le camp est mêlé à un village de quelques habitants, comportant une clinique, une église et une école qui accueille les enfants du coin. L’ambiance est chaleureuse malgré les AK47 et M16 aux bras des nombreux militaires de l’armée de libération Karen présents sur place. Ici, la paix est précieuse et instable: sans conflit en ce moment, le lieu n’a pas toujours connu ça ! Des assauts directs quelques années plus tôt ou des combats à quelques kilomètres, les militaires birmans n’hésitent pas à intimider la population Karen par attaque de l’infanterie ou par dépôts réguliers de mines anti personnelles. Les mines sont une peur constante pour les habitants de la région, par chance un démineur anglais s’est occupé du camp où nous nous trouvons mais le sentiment de sécurité est fébrile. Les militaires sont volontaires ici, on leur offre gîte et nourriture en échange du service rendu à leur nation. Le camp et les équipements sont principalement financés par les taxations de biens aux frontières et les dons de particuliers ou associations.

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Cérémonie militaire pendant le Nouvel An Karen

D’ailleurs c’est grâce à l’association Ennea-world où notre ami Sylvain est bénévole que nous avons pu venir sur le camp. Sylvain s’occupe de l’achat et l’acheminement de fournitures scolaires aux écoles Karens alentours. Livres, stylos, craies, ardoises… tout est neuf pour les enfants, et fait finalement contraste avec le plancher en bois troué de la salle de classe. Le mobilier et les salles sont fait localement, grâce aux arbres et bambous de la forêt. Seule exception du village, la maison de la docteur allemande, Sabine, toujours en construction, mais réalisée à partir de matériaux recyclés (bouteilles, verres, boîtes d’œufs en plastique) et de terre. Sabine habite ici depuis plus de 17 ans, mariée à un Karen, et maman de 3 enfants. Elle a donc vécu les dernières oppositions armées, le développement récent du village, et les prises de position du général Nada (général en chef du groupe armé qui nous a accueilli: le KNDO) en faveur d’une paix durable et d’un développement touristique des villages afin de doter les Karens d’une nouvelle source de revenu.

« il faut tout de même se méfier du gouvernement birman lunatique et qui peut être très violent »

Les histoires d’actes horribles réalisées par les militaires birmans ne manquent malheureusement pas: poses de mines dans les rizières, destructions de villages, massacres de villageois… 

Une culture riche et unique

Question religion les Karens sont divisés en trois groupes distincts: bouddhistes, chrétiens et animistes leur croyance initiale. Bouddhiste par l’influence thaïe et birmane, chrétiens par l’évangélisation européenne, ils mélangent encore aujourd’hui leur religion aux traditions animistes ancestrales.
De nombreuses branches de la chrétienté sont présentes: anglicans, baptistes, catholiques, 7th day adventice, avec tous une approche plus ou moins stricte des pratiques et écrits religieux. Le camp ou nous avons été est majoritairement 7day adventice, un courant fondamentaliste du christianisme. Ils rejettent une certaine évolution scientifique du monde, interdisent d’embrasser ou même toucher (exemple, prendre la main) son copain/copine avant le mariage, et espèrent l’arrivée prochaine du messie. Nous avons d’ailleurs pu échanger avec quatre jeunes d’une vingtaine d’années, vivant désormais en Australie, mais revenant pour les fêtes au sein de leur communauté. Pour eux la religion est omniprésente, prière à Jésus matin et soir, chants à la gloire de Dieu ou de principes à appliquer, et pas de porcs non plus au menu.

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Jeunes filles Karen en habits traditionnels

En cette fin d’année, chaque village célèbre Noël le jour qu’il désire en décembre. Tout le monde se réunit alors pour la messe, un petit spectacle des enfants, quelques chants et une soupe de riz partagée. Le calendrier est également différent en pays Karen. La nouvelle année se célèbre en fonction du calendrier lunaire, et cette année nous célébrons l’entrée en 2777 le 18 décembre. Au programme des festivités, danses et musiques traditionnelles, concert de rock, rap et pop Karen. On tue également les poulets à la chaîne pour célébrer l’événement autour d’un bon repas à base de riz, curry pimenté et volaille. Le lendemain matin, le défilé militaire permet au général de récompenser certains militaires et prononcer un discours faisant l’apologie de la paix et de la culture Karen. Il est important de montrer leur philosophie pacifiste et accueillante, c’est aussi un atout essentiel sur la scène internationale (Thaïs et Birmans jouissent déjà d’une belle réputation à ce sujet); important de souligner la place de la musique dans leur culture (chaque personne sait chanter, danser ou jouer d’un instrument).

L’aide humanitaire, une aide indispensable pour ces régions isolées

La survie de ces bastions de résistance, ainsi que de certains villages délaissés de l’autorité birmane, relève donc en grande partie des nombreuses associations et particuliers apportant fonds et matériels. Dernière en date l’ONG Migration to Asia Peace a financé l’installation de panneaux solaires sur l’école et les dortoirs étudiants, permettant ainsi aux élèves de bénéficier de lumière pour étudier ou lire, de recharger leur téléphone portable ou de faire fonctionner une petite télévision. Ils luttent depuis une dizaine d’année pour la promotion de la paix en Asie et notamment dans le conflit nord coréen:

« Quand on a entendu parler de la situation Karen relayée par un collègue journaliste, nous avons réalisé des appels aux dons, accueilli le général Nada à Seoul pour une conférence, et cherché à comprendre les besoins du village. Nous avons encore des centaines d’habits à distribuer ».

Henning, lui, est un physiothérapeute habitant non loin de Cologne. Ancien réserviste dans l’armée allemande, il est aussi instructeur militaire:

« Je suis ici pour former les jeunes militaires Karens. Cela fait plus de 20 ans que je viens ici. »

Les méchants contre les gentils?

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Installation de panneaux solaires grâce à l’association MAP

Cette culture Karen, représentée par leur langue, leur alphabet, leur calendrier, leurs habits, leurs danses, leurs coutumes différent donc de leurs voisins birmans. Ces différences intensifient le sentiment d’identité à un peuple minoritaire et accentuent les positions politiques des Karens: autonomie ou Myanmar, cessez-le-feu ou combat, confiance ou non dans le nouveau gouvernement de Aung San Suu Kyi… Le gouvernement birman n’est d’aucune façon excusable de ses actions sanglantes, inhumaines mais l’Histoire nous aide à avoir une vision moins manichéenne de la situation actuelle. En effet, c’est dans la continuité d’un jeu de pouvoir et de territoire que l’échiquier géopolitique est aujourd’hui tel quel. Notons que les minorités maintenant unis d’une certaine façon contre un même oppresseur ont été ennemis par le passé et ont usé de violence pour ce même jeu d’intérêt.

Les Karens sont désormais divisés en une multitude de sous-groupes, mais unis dans la fierté de leur identité et sous les couleurs d’un même drapeau. Mais cette réalité Karen qui ne se vit que dans les villages reculés de l’état de Karyin, est pourtant mal connu par les Birmans eux-mêmes. Poser la question de l’intégration des minorités ethniques à un Birman, c’est se confronter à un déni de tout problème. Comment peut-on en vouloir à un peuple qui vit sous un contrôle serré des informations, particulièrement quand il s’agit d’actions militaires? Le pays est classé 139ème en termes de liberté de la presse selon Reporter Sans Frontière (sur 180)! Dans un pays où la presse est contrôlée et politiquement orientée, où l’élite politique reste continuellement flou sur ce sujet, et où certaines zones sont toujours interdites d’accès aux étrangers, il est difficile pour les locaux de voir ces problèmes d’intégration…

Appeler « Birmanie » (c’est à dire le pays des birmans) la nation regroupant une multitude d’ethnies dont les birmans c’est quelque part oublier cette diversité; les Karens mais aussi les Mons, Shans, Chins… et, osons le dire, les Rohingyas. Alors, pourquoi ne dit-on pas encore Myanmar (c’est à dire « pays merveilleux créé par ses esprits habitants mythiques »)  en français?

SerialHikers stop autostop world monde tour hitchhiking aventure adventure alternative travel voyage sans avion no fly auteur Clement Raph

Clément et Raphaël

Partis depuis Paris en autostop, tente sur le dos, nous avons rejoint l’Asie où on se laisse porter par le flot des rencontres. Notre rêve: changer le monde, à notre échelle. Quand on ne fait pas de boulettes, nous consacrons notre temps à la découverte des autres. Avec nos expériences, nous essayons d’apporter un nouvel éclairage, celui provenant des pays du soleil levant.

* Crédits photos: Clément et Raphaël *

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