En 2012, le Kirghizistan se lance dans un projet d’envergure: instaurer des Jeux nomades mondiaux, à l’image des Jeux Olympiques, afin de préserver et promouvoir des sports issus de la culture des peuples nomades à travers le monde. On y retrouve des épreuves à cheval, de chasse, de lutte, de tir à l’arc, de tir à la corde et des jeux intellectuels (jeux de billes, osselets). Pour la troisième édition cette année, les Jeux nomades mondiaux ont rassemblé plus de 2000 athlètes venus de 77 pays différents, dont la France. Et on y était!
Un évènement attendu
Il y a quelques mois, nous avons vu passer sur les réseaux sociaux un super teaser pour les Jeux nomades de 2018, qui allaient se dérouler autour de Cholpon-Ata, au Kirghizistan. Ce pays se situant sur notre route vers l’Est, nous nous sommes fait alors la promesse d’y assister!
Cependant, et malgré de gros moyens employés en amont côté marketing (teaser, site internet officiel traduit en anglais), des zones d’ombres sont apparues très rapidement côté organisation: manque d’informations sur place, programmation floue, système de navettes entre les différents sites annulé au dernier moment, billeterie en ligne ouverte tardivement pour les étrangers… C’est donc en partie avec l’aide de nos contacts locaux que nous avons pu identifier les lieux et jours de compétition des différentes épreuves qui nous intéressaient (sur les 37 sports que comptent les Jeux nomades). Au programme: l’éthno-village dans la vallée de Kyrchyn dans un premier temps, pour admirer les sports de chasse, épreuves de tir à l’arc et démonstrations de danses et chants traditionnels; puis enfin, direction l’Hippodrome et le Centre Sportif de Cholpon-Ata pour les compétitions à cheval et les épreuves de lutte.
À l’ethno-village, beaucoup de yourtes, de costumes traditionnels et d’animaux
Pas de panneau? Pas de panneau.
Après 3h de route depuis Karakol et 5 voitures arrêtées en autostop, nous voilà déposés à l’entrée de l’immense éthno-village bâti dans la jolie vallée de Kyrchyn. Le décor est typique, parfait: des montagnes entourant une vallée verdoyante, et des yourtes à perte de vue. Ça y est, nous venons de franchir le territoire des nomades – avec nos sacs sur le dos et nos chaussures poussiéreuses. On a commencé par chercher un plan du site, un programme, des indications… Pour finalement tomber sur un panneau en bois n’indiquant rien. Même les jeunes volontaires présents sur place, censés guider les touristes en détresse, ne nous étaient pas d’une grande aide. On a fini par suivre la foule et les journalistes jusqu’aux terrains plats dédiés au tir à l’arc et aux sports de chasse. C’est devenu une habitude au Kirghizistan: rien n’est bien préparé, rien n’est complètement fini, rien ne se passe à l’heure – mais tout fonctionne.
Sur le champ de tir à l’arc, les flèches fusent déjà. À 35m de distance (30m pour les femmes), les cibles représentant des chèvres sont transpercées de toute part de belles flèches en bois. Au coup de sifflet de l’arbitre, les archers, dans leur tenue traditionnelle, s’avancent vers la cible, récupèrent leurs flèches, comptabilisent les points et reprennent leur position à la ligne de tir pour un second set. Chaque set permet de tirer 5 flèches par participant, en moins de 2 minutes. Les arcs, flèches doivent impérativement être en bois, sans artifice – exit les flèches carbone, les repose-flèches et autres viseurs; nous sommes aux Jeux Nomades! On admire ces athlètes gracieux, tirer de face, de dos, puis un genou à terre; dans une ambiance mêlant sérieux et camaraderie. Au moment de partir, je repère une femme Tatar. Elle s’apprête à tirer, dans sa longue robe pas très commode qui laisse entrevoir un ventre proéminent, synonyme de vie à naître.
Un chasseur sachant chasser
Sur le terrain d’à-côté, le silence règne. Au milieu de cet immense champ, un dresseur d’aigle kirghiz agite un appât du bout de son gant en cuir. Soudain, ses petits cris viennent briser le calme ambiant: il appelle son aigle. L’oiseau, placé 200 mètres plus loin, ne semble pas réagir. Tout le monde retient son souffle… Va-t-il s’envoler et se poser sur le bras de son dresseur dans les 2 minutes imparties, comme l’exigent les règles strictes du Burkut Saluu? On tend le cou, attentifs au moindre mouvement de l’animal… Et soudain, on le voit déployer ses ailes, prendre son envol en quelques battements – avant de planer dans un moment furtif de frayeur collective au raz du public. Les cris du maître s’intensifient, l’appât agité plus fortement: cela fonctionne! L’aigle se dirige désormais vers son dresseur, toutes griffes dehors. Tandis que l’aigle dévore son butin (bien mérité), la foule en liesse applaudit. Le dresseur kirghiz peut être fier de son majestueux compagnon, ses adversaires n’ont pas su faire mieux – du moins selon nos propres estimations car ici, il n’y a ni commentateur ni affichage des résultats…
Lorsque les épreuves de tir à l’arc et de chasse cessent, nous comprenons que la pause déjeuner vient de débuter. Nous en profitons pour nous balader au cœur de l’éthno-village, au milieu des yourtes et des stands d’artisanat local. Entre deux étals, on se fait apostropher par des locaux venus profiter de l’attrait des animaux sur les touristes: « Horse back? » « Eagle photo? » Pas besoin d’appareil photo pour voir la vérité en face: les aigles enchaînés, semblent stressés et les chevaux, enchaînant les balades en plein soleil, semblent fatigués. « No, thanks ». On préférera la beauté des danseurs dans leur tenue traditionnelle, le son du Kumuz résonnant entre deux yourtes… Et l’enthousiasme des grands-mères kirghizes, dansant gaiement au rythme de la musique country diffusée au stand de la délégation américaine.
De retour au terrain des sports de chasse, une voix au micro nous annonce (en russe et en anglais, svp!) que la compétition de chasse avec des lévriers va bientôt commencer. Et effectivement, nous ne tardons pas à appercevoir des meutes de chiens longilignes, aux pattes fines et aux corps musclés se faire ammener sur la ligne de départ. Un cavalier se place une bonne dizaine de mètres devant les chiens impatients: au signal, il se lancera au galop, traînant derrière lui une peau de renard pour apater les chiens et les emmener à la ligne d’arrivée, 350m plus loin. À chaque passage, les temps sont annoncés: 42s, 35s… Finalement, ce sont les lévriers de l’équipe saoudienne qui l’emportent, avec 32s au chrono! Exactement le temps qu’il nous faudra pour nous endormir, dans notre tente montée au bord de la rivière, à deux pas de l’éthno-village.
À l’hippodrome, ambiance survoltée autour du Kok-Boru
Beurk!
Couchés au crépuscule, réveillés à l’aube! La journée s’annonce déjà belle. On petit-déjeune sur l’herbe, on replie la tente, on remet nos sacs sur le dos et on lève nos pouces à la sortie de l’éthno-village. Nous arriverons sans trop de difficulté à l’immense hippodrome de Cholpon-Ata en fin de matinée, pile à l’heure pour le premier match de Kok Boru de la journée. Kok, quoi? Kok Boru, c’est le sport national kirghiz – un sport d’équipe où les cavaliers se disputent la possession… d’un cadavre de mouton entier et décapité (une « balle » très particulière, de 35kg en moyenne). Le but? Aller déposer la « balle » dans son but, une sorte de puits placé au bout de l’hippodrome, sans se faire voler la carcasse par un joueur adverse! À la fin du match (3 sessions de 20 minutes), le mouton est cuisiné, mangé – paraît-il que la viande, tapée pendant une heure, n’en est que meilleure…
Mais revenons à nos moutons, enfin plutôt à ce premier match de Kok Boru qui oppose le Kazakhstan et la fédération de Krasnoyarsk (Russie). Tandis que les gradins se remplissent de vieux kirghizes arborant fièrement le chapeau en feutre et une dentition en or, les cavaliers défilent au centre de l’hippodrome sur fond de musique guerrière. À cet instant, on s’imagine plutôt aux Jeux Antiques qu’aux Jeux Nomades: une grande piste de sable, un jeu que l’on pourrait qualifier de barbare, des cavaliers combattifs se passant les mains sur le visage en signe de prière (un geste traditionnel porte-bonheur) et une foule excitée, acclamant les futurs héros. À l’exception près que les pouces levés du public de la Rome Antique ont été désormais remplacés par les pouces bleus d’un célèbre réseau social…
On joue. C’est pas vrai?!
Lorsque le match se termine (sur une victoire très large du Kazakhstan), nous nous préparons à quitter l’hippodrome pour assister aux épreuves de lutte qui se déroulent à côté. Mais voilà que l’équipe de France est annoncée pour le prochain match de Kok Boru… Quoi? La surprise est aussi grande que notre confusion; le Kok Boru n’est pas un sport pratiqué en France… Et pourtant, des cavaliers en tenue bleue marine et portant le drapeau français se préparent à entrer sur le terrain! Sentiment patriotique oblige, on reste pour les encourager de notre mieux (Allez les bleus!) même si, soyons honnêtes, nos joueurs n’avait aucune chance de gagner. On s’est trompés: les joueurs français, bien que souvent en peine pour attraper la « balle » ou effacés dans l’action, ont réussi l’exploit de scorer 6 points – en partie aidés par leurs adversaires ouzbeks et les encouragements du public, très fair-play. Ils ont surtout réussi l’exploit de jouer dignement un sport qui n’est pas le leur (à la base, ce sont des joueurs de Horse Ball), avec des chevaux qui ne sont pas les leurs.
Après le match surprise de l’équipe de France au Kok Boru, nous pensions avoir tout vu. Mais non! L’équipe américaine prend le relais sur le terrain, contre les favoris kazakhs! On se rassoit à temps pour admirer le show – tout ceux présents sur place, papis kirghizs compris, garderont longtemps en mémoire ce joueur américain barbu qui marquait les points en se jettant littéralement dans le puits tête en avant, carcasse dans les bras. On en aurait presque oublier les épreuves de lutte, qui nous paraissent beaucoup moins impressionnantes en comparaison – sans doute parce que la lutte fait aussi partie des sports que l’on pratique dans notre pays, même si nos lutteurs ne portent pas de tenue aussi « attrayantes » que les lutteurs mongols ou les sumos japonais. Après deux journées bien remplies et fortes en émotions, nous repartons vers les montagnes de Karakol ravis – le sourire au visage, des étoiles plein les yeux, et des souvenirs plein la tête!
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* Article rédigé d’après notre expérience personnelle *