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Le Portugal, pays des enfants uniques

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Faute d’enfants, le Portugal se vide. En 2080, selon l’Institut National des Statistiques Portugais, il y aura plus de 3 millions de portugais en moins (soit -30% de population), et trois fois plus de personnes âgées que de jeunes. Depuis 1995, l’indice de fécondité du Portugal (de 1,2 à 1,4) est en dessous du niveau jugé critique pour le renouvellement de la population, 1,5 enfants par femme. Pourquoi y a-t-il majoritairement des enfants uniques au Portugal? Comment expliquer cela? Comment inverser la tendance?


Pourquoi les Portugais font-ils moins d’enfants?

Il y a bien sûr le départ massif des jeunes portugais vers d’autres pays depuis la crise économique. Selon le ministère du travail, 500 000 jeunes auraient émigrés depuis 2008, soit plus du tiers de cette classe d’âge. Pour une bonne partie, ils font des enfants dans le pays d’émigration, privant leur pays natal de leur progéniture. Mais la crise n’explique pas tout…

Travail des femmes et baisse de la fécondité

Dans les années 1970, le Portugal avait un nombre d’enfants par femme très proche de trois. C’était un des pays avec la natalité la plus élevée d’Europe. De manière continue depuis les années 1980, ce chiffre a diminué. Le Portugal est même devenu le pays européen avec la fécondité la moins élevée en 2012: avec une moyenne d’1,2 enfants par femmes. 

Plusieurs grandes évolutions de la société portugaise semblent pouvoir expliquer ce double phénomène. En premier lieu, jusqu’en 1974, le Portugal était dirigé par la dictature conservatrice instaurée par Salazar. Ce régime avait une politique basée sur une vision très traditionaliste de la famille. La femme devait avant tout s’occuper des enfants tandis que l’homme se devait d’apporter des revenus à la famille. A partir de l’instauration de la démocratie en 74, le rôle de la femme a énormément évolué. Les femmes se sont ainsi massivement intégrées dans le marché du travail. Alors qu’elles n’étaient que 1,5 millions sur le marché du travail en 1974, elles étaient près de 2,5 millions au début des années 2000. La population active masculine a elle très peu augmentée, passant de 2,5 millions à 2,8 millions. De plus, les femmes ont massivement bénéficié de la démocratisation de l’enseignement supérieur.

Cette intégration forte dans la vie professionnelle et cette élévation du niveau de formation n’ont bien sûr pas comme conséquence automatique la baisse de la fécondité. D’autres pays, comme la Suède ou la France, ont une population féminine très éduquée avec un haut taux d’activité tout en ayant une natalité élevée ! Néanmoins ces phénomènes donnent une plus grande importance aux questions suivantes :

  • Quand avoir un enfant, c’est à dire à quel moment la vie professionnelle est-elle le plus conciliable avec l’éducation d’un enfant?
  • Combien avoir d’enfants, c’est à dire combien est-il possible d’avoir d’enfants en conciliant le temps de leur éducation avec le temps consacré au travail?

 

De toute évidence, l’équilibre entre travail et fécondité n’a pas été trouvé au Portugal. Selon une vaste  enquête nationale, les portugais désirent en effet en moyenne avoir 2,3 enfants. Dans les faits, il n’en ont en 2017 en moyenne qu’1,3.

L’agrandissement de la famille sacrifiée sur l’autel de la précarité

Lors d’une  étude conduite auprès de 10 000 ménages et publiée en 2016 par l’institut National des Statistiques Portugais (INE) et la Fondation Francisco Manuel Dos Santos, les principaux facteurs explicatifs de cette différence entre nombre d’enfants voulus (2,3) et nombre d’enfants effectifs (1,3) ont pu être isolés. Les désirs des portugais sont variés: 8% disent ne pas vouloir d’enfants, 25% souhaitent n’en avoir qu’un, 50% désirent en avoir deux, 13% envisagent d’en avoir au moins trois et 4% sont totalement indécis. Le nombre d’enfants dans la fratrie d’origine, les valeurs plus ou moins conservatrices, l’importance accordée aux loisirs influent sur ces souhaits.

Pour la décision d’avoir un premier enfant, les facteurs extérieurs comptent peu. En effet, la plupart des ménages qui souhaitent avoir des enfants en font au final au moins un. Avec le premier enfant, l’homme et la femme acquièrent le statut de père et de mère. Ils fondent une famille, font l’expérience unique d’élever un enfant. Autant de bénéfices psychologiques qui vont au delà des difficultés rencontrées pour mener à bien la mission éducative.

C’est donc dans la décision de faire un deuxième ou un troisième enfant que les facteurs extérieurs prennent le plus d’importance: c’est ici la qualité de l’éducation à fournir qui est en jeu. En effet, les personnes d’accord avec la phrase « il est préférable d’avoir seulement un enfant mais de l’éduquer avec moins de restrictions et plus d’opportunités » ont sept fois plus de chances de n’avoir qu’un enfant que ceux en désaccord avec cet opinion.  Quelles sont ces restrictions? Elles sont pour la plupart liée au travail. Les principales raisons qui poussent à retarder puis à annuler la venue d’un second ou troisième enfant:

  • l’instabilité de l’emploi: les personnes sans emploi ou avec des contrats précaires ont beaucoup moins de chance d’atteindre le nombre d’enfants désirés. Dans cette décision joue la peur des parents de ne pas pouvoir offrir à leurs enfants les conditions de vie dans lesquels eux mêmes ont été élevés.
  • le temps disponible et les horaires de travail: ceux qui travaillent plus de 35h par semaine ont cinq fois plus de chances de n’avoir qu’un enfant unique. Le travail en horaire décalé est également un facteur jouant en défaveur d’un nombre plus élevé d’enfants. Se joue ici la conciliation entre le temps consacré à la vie professionnelle et le temps disponible auprès de ses enfants.
  • Les niveaux de revenus: les personnes avec un revenu entre 500 et 1000 euros sont les plus susceptibles de revoir à la baisse leur projet initial (NB : le SMIC est inférieur à 500 euros mensuels en 2013). Elles combinent en effet une entrée tardive dans le marché du travail suite à des études, et un niveau de revenu faible. Les personnes avec moins de 500 euros de revenus ont relativement plus de chance d’atteindre le nombre d’enfants voulus : entrées plus vite sur le marché du travail, elles font leur premier enfant plus jeune et ont donc une période plus longue pour avoir le nombre d’enfants voulus. Les personnes ayant des revenus supérieurs à 1000 euros sont celles qui ont le plus de chance d’avoir effectivement le nombre d’enfants désirés.
  • Le partage des tâches domestiques: lorsque le père participe équitablement aux tâches ménagères, les projets de deuxième ou troisième enfant ont plus de chances d’aboutir. En effet, le poids de la parentalité repose sur les deux parents. La conciliation entre vie professionnelle et parentale est plus aisée. Cette variable est moins déterminante que les trois précédentes.

 

Ainsi, que ce soit la précarité des contrats, le volume d’horaires travaillés, le niveau des revenus, le travail est au cœur des explications de la baisse de la fécondité portugaise. Quelles sont les politiques publiques mise en œuvre jusqu’ici pour inverser la tendance?

Augmenter la natalité en facilitant la vie des parents

Faire garder ses enfants pour travailler

Jusque dans les années 2000, la question de la garde des enfants a été considérée comme relevant strictement du champ de la famille élargie. Les différents membres de la familles (grands parents/ oncles et tantes) devaient être mis à contribution. Ce n’est qu’en 2002 qu’a été mis en place un vaste programme d’investissement visant à créer de nombreuses places en crèche et élargir l’accès à l’école maternelle. Ce programme a permis au Portugal d’avoir un taux d’accès en crèche supérieur à la moyenne de l’Union Européenne (37% contre 30% en moyenne européenne). De même l’accès à l’école maternelle est important : 87% des enfants de plus de 3 ans étant scolarisés. Bien que totalement arrêté durant les années les plus sombres de la crise (2011-2014), ce programme d’investissement à repris fin 2015 avec le gouvernement d’Antonio Costa (Parti Socialiste, soutenu par une coalition de gauche). De nouvelles crèches ouvrent et le gouvernement a pour objectif de rendre l’accès à la maternelle universel à 5 ans puis à 4 ans.

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La loi de 2016 sur l’attente prioritaire oblige tous les commerces et services publiques à faire passer en priorité les parents accompagnés d’enfants de moins de 2 ans

Congés maternité et paternité, allocations familiales et loi sur l’attente prioritaire

Faciliter la vie des parents c’est en premier lieu leur permettre d’accueillir leur enfant dans de bonnes conditions à la naissance. Ainsi a été mis en place un congé maternité de 120 jours payés à 100% (contre 16 semaines soit 112 jours en France) ou de 150 jours payés à 80%, selon la préférence des parents. Le congé paternité a lui été récemment allongé pour atteindre 20 jours payés à 100% (contre 11 jours en France). De plus, les parents ont la possibilité de prolonger le congé maternité dans le cas où le père le partage avec la mère. Dans ce cas, le congé payé à 100% passe de 120 jours à 150 jours et celui à 80% de 150 à 180 jours. Ainsi, le Portugal a en matière d’implication des pères une législation bien plus avancée que la France.

Ensuite, il s’agit de diminuer le coût financier de la parentalité pour les parents. Un système important d’allocations familiales a été élaboré dans les années 2000. Néanmoins, celui-ci a été largement amputé dans les années 2011-2015, privant de revenus des centaines de milliers de familles. L’Unicef Portugal a alors dénoncé l’explosion de la pauvreté infantile. Depuis 2015, certaines dispositions du régime d’avant crise ont été rétablies, mais pas la totalité. Avoir un enfant a donc toujours un coût important.

Enfin en 2016, la législation sur l’attente prioritaire a été modifiée en faveur des parents de jeunes enfants. Au même titre que les personnes handicapées, âgées, ou que les femmes enceintes, les parents accompagnés de leurs enfants de moins de 2 ans sont prioritaires dans toutes les files d’attentes. Les commerçants réfractaires encourent des amendes de 500 euros.

Augmenter les revenus, réduire la précarité et travailler moins?

Mais, si l’on prend en compte les enseignements de l’étude sur les déterminants de la fécondité au Portugal, c’est dans le domaine du travail et de la précarité qu’il faut en priorité agir :

  • Sur la précarité de l’emploi, des négociations sociales ont été lancées en Mars entre les partenaires sociaux pour mettre des limites à l’extrême flexibilité du droit du travail portugais, et notamment réduire le nombre et la durée des CDD en en limitant la durée et en les surtaxant ;
  • Sur le niveau des revenus, le gouvernement s’est engagé à augmenter le SMIC pour qu’ils atteignent 600 euros en 2019. L’ensemble de l’échelle des salaires est ainsi poussé à la hausse.
  • Aucune avancée n’est à prévoir en terme de réduction du temps de travail ou de recours limité aux horaires décalés. Le gouvernement a ainsi rejeté la proposition de loi citoyenne à l’initiative de l’ordre des médecins proposant de réduire de 2h le temps de travail hebdomadaire des parents d’enfants de moins de 3 ans. Face aux horaires décalés, le gouvernement privilégie l’incitation à l’ouverture de crèches ouvertes 24h sur 24.

Conclusion

Depuis 2015, avec la sortie de la crise économique et la reprise de politiques en faveur des salariés, des lueurs d’espoirs apparaissent pour la natalité Portugal. Bon dernier en 2012, le Portugal est désormais devant l’Italie et l’Espagne en matière de fécondité, avec 1,36 enfants par femme, contre 1,34 pour ces derniers: c’est encore très en deçà du seuil de renouvellement de la population! De timides améliorations de la politique familiale et du droit du travail devraient permettre de relever encore ce niveau. Si le gouvernement va bien au delà, les portugais pourront enfin avoir le nombre d’enfants qu’ils désirent. 

Liens utiles (sources web):

Liens utiles (source papier):

Histoire du Portugal contemporain, de 1890 à nos jours – Yves Léonard, 2016

SerialHikers stop autostop world monde tour hitchhiking aventure adventure alternative travel voyage sans avion no fly auteur Elsa Christophe

Elsa et Christophe

À l’âge de deux mois, notre bébé Sophia a eu une envie irrésistible de voyage… Pour la suivre, nous avons pris les choses en main et obtenu une césure d’un an dans nos emplois respectifs. Nous voilà donc sur les routes de la Méditerranée, avec Sophia et aussi « Momo », notre Modus, qui nous accompagne partout!

* Crédits photos: Elsa et Christophe *

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