Quand on se ballade le nez en l’air à Barcelone aujourd’hui, on ne peut qu’être étonné des multiples tags sur les murs, des affiches collées un peu partout, des dessins, avec un même message : «Turists fuera» (touristes dehors) ou «Tourism kills the city». Passé l’effet de surprise, on découvre petit à petit des éléments d’explication. Par exemple la zone monumentale du parc Guell conçu par Gaudi a récemment été transformée en zone touristique payante. Les habitants du quartier ne peuvent donc plus en profiter librement. Parc ou parc à touristes? Quelle ville reste-t-il aujourd’hui pour les habitants?
L’augmentation massive du tourisme et ses effets
En plus des tags et affiches, la ville a connu une attaque à coups de peinture et de graffitis d’un bus transportant un groupe de touristes ou encore du vandalisme contre un hôtel en fin d’une manifestation de riverains. Tout cela a conduit le journal britannique « The Guardian » à classer Barcelone parmi les 8 villes les plus odieuses du monde envers les touristes. Plus significatif, un sondage en juin 2017 indique que le principal problème des barcelonais serait le tourisme (19%), devant le chômage (12%).
Depuis 5 ans, le nombre de touristes a fortement augmenté, atteignant en 2016 8 millions de visiteurs annuels, pour une ville de 1,2 millions d’habitants. Cette croissance a été principalement générée par :
- la forte augmentation du nombre de lignes d’avions low-cost à destination de Barcelone ;
- le développement de l’offre d’hébergement touristique. L’offre légale a été multipliée par 11 entre 2011 et 2015, passant de 814 à 9 606 logement dédiés au tourisme. Une offre non déclarée et sans licence, via la plateforme airbnb, a connu un développement exponentiel. Quasi inexistante en 2011, elle serait d’environs 10 000 logements en 2015. Barcelone est ainsi devenu le troisième marché mondial pour la plateforme en ligne.
Ce tourisme de masse a bien sûr engendré de nombreux emplois et des rentrées financières pour la ville (fiscales via la taxe de séjour et dépenses sur place). Néanmoins, cet afflux a également généré des effets pervers. Il a ainsi provoqué une augmentation des prix des loyers, et par ricoche du nombre d’expulsions locatives. La rentabilité des logements touristiques est aujourd’hui supérieure à la rentabilité d’une location à l’année. Dès lors, l’augmentation de l’offre de logements touristiques s’est faite au détriment de logements du marché locatif classique. Cela a induit une hausse des prix des loyers (+ 21 % entre 2014 et 2017 sur l’ensemble de l’agglomération et jusqu’à + 41% dans certains quartiers).
À cette augmentation des loyers, s’ajoutent des désagréments pour ceux qui restent dans ces quartiers devenus ultra touristiques :
- La « touristification » des commerces: les commerces s’adaptent aux goûts, et au pouvoir d’achat des touristes. Les résidents ne veulent plus, ou ne peuvent plus se permettre de faire des achats dans leur quartier. C’est le cas notamment de certains quartiers du centre, où il y a plus de touristes qui y dorment que de riverains (dans le Bario Gotic par exemple).
- Les nuisances nocturnes: à Barcelone s’est développé un tourisme de « beuveries», et de drogues (marijuana essentiellement, mais aussi héroïne). Les personnes qui viennent faire la fête dans leur appartement airbnb, ou dans la rue, empêchent les riverains de dormir… ce qui explique les nombreux panneaux « dejadnos dormir, dejadnos vivir », laissez nous dormir, laissez nous vivre… (quartier de Gracia par exemple, ou Poble Sec).
Faut-il s’interdire de visiter des lieux sur-fréquentés?
L’action de la Mairie pour réguler le logement
Face à ces problèmes, la Maire de Barcelone, Ada Colau (Barcelona en Comùn) a révisé sa planification urbaine du logement touristique et adopté un plan de choc contre les logements illégaux. Adopté en 2016, « le plan urbain de logement touristique » prévoit une stagnation du nombre d’hébergements touristiques. En bref, aucune licence nouvelle ne sera accordée s’il n’y a pas auparavant une fermeture d’établissement dans la ville. Ce plan vise également à une meilleure répartition du tourisme dans les différents quartiers. Il définit ainsi:
- (i) une zone de décroissance touristique: dans cette zone si un établissement hôtelier ferme, aucune licence nouvelle ne sera octroyée – ,
- (ii) une zone de stagnation touristique: une licence pourra être accordée seulement si un établissement de cette zone ferme –
- (iii) et une zone d’augmentation touristique: si un établissement ferme dans les deux premières zones, alors une licence peut être accordée pour cette dernière zone
La municipalité s’est également lancée dans des expropriations ciblées visant des projets hôteliers dans les zones de forte tension, comme celui prévu dans l’ex-coopérative ouvrière « Sègle XX » dans le quartier de la Barceloneta. Ensuite, un plan de choc contre le logement touristique illégal a été mis en œuvre. Plus de 40 inspecteurs traquent ces logements non-déclarés. Une plateforme en ligne incite riverains et touristes à dénoncer des potentiels logements illégaux dans leur immeuble ou leur quartier. Les contrevenants risquent des amendes pouvant atteindre 60 000 euros. En septembre 2016, soit 3 mois après l’adoption de ce plan de choc, plus de 600 établissements illégaux avaient été fermés et près de 1000 étaient en procédure judiciaire.
Afin de remettre ces logements sur le marché locatif classique, la Mairie propose aux propriétaires des réductions s’ils acceptent de dédier leurs appartements à du logement social. La réduction est de 80% pour une mise à disposition de 3 ans et de 100% si elle dure 6 ans. Enfin, ce plan d’action s’accompagne d’une large campagne d’affichage dans la ville de Barcelone. Le quartier de Garcia et ses places par exemple ont été redécorés à coup d’affiches colorées et joliment illustrées, en trois langues (castillan, espagnol et anglais), avec des slogans («À Gracia on ne crie pas on murmure», «À Gracia on aime rêver la nuit»). Le touriste baladeur rencontre également d’élégantes affiches qui lui sont destinées : «cher touriste, nous aimons dormir la nuit, nous travaillons et ne sommes pas en vacances, nous vivons en famille». Bref, nouveau plan, nouvelle cohabitation, nouvelle déco: Barcelone se refait une beauté!
Sources
1. https://ajuntament.barcelona.cat/turisme/sites/default/files/otbc_informe_anual_2015.pdf
2. http://ajuntament.barcelona.cat/pla-allotjaments-turistics/es/
3. http://ajuntament.barcelona.cat/turisme/es/noticia/el-plan-de-choque-de-viviendas-de-uso-turzstico-ordena-el-cierre-de-615-pisos-ilegales
4. http://ajuntament.barcelona.cat/sites/default/files/acta_cp_010716_es.pdf
5. http://meet.barcelona.cat/habitatgesturistics/es/
6. http://www.eldiario.es/catalunya/Acciones-turismo-defensa-vecinos-turismofobia_0_671583429.html
7. http://www.eldiario.es/catalunya/barcelona/turismo-principal-problema-barceloneses-municipal_0_657584520.html
8. http://www.lavanguardia.com/local/barcelona/20170610/423263910854/turismofobia-barcelona-masificacion-turismo-guell-sagrada-familia.html
9. http://www.bbc.com/mundo/noticias-40107507
10. http://ajuntament.barcelona.cat/dretssocials/es/noticia/nuevas-medidas-para-combatir-los-apartamentos-turzsticos-ilegales-y-aumentar-el-parque-de-pisos-sociales
11. http://www.liberation.fr/planete/2017/02/17/tourisme-barcelone-affiche-complet_1549259
12. http://www.lavanguardia.com/local/barcelona/20171126/433218016482/ayuntamiento-barcelona-expropia-la-antigua-cooperativa-siglo-xx-en-la-barceloneta-equipamientos.html
Elsa et Christophe
À l’âge de deux mois, notre bébé Sophia a eu une envie irrésistible de voyage… Pour la suivre, nous avons pris les choses en main et obtenu une césure d’un an dans nos emplois respectifs. Nous voilà donc sur les routes de la Méditerranée, avec Sophia et aussi « Momo », notre Modus, qui nous accompagne partout!
* Crédits photos: Elsa et Christophe *